LE DERNIER PAVÉ DE LA REVUE PLAGES

Sous les pavés, la révolution

En mai 2011, paraîtra le dernier numéro de la revue Plages, trente-trois ans à déterrer les pavés du rêve et à les jeter à la gueule de l'art, quelquefois réussis, parfois moins percutants... toujours à la pointe du combat de la création. Nous nous sommes battus contre l'Institution, pour défendre la sécurité sociale des artistes, en organisant des manifestations et des débats pour l'obtention d'un revenu de droit pour tous, en lâchant 600 têtes d'artistes des ponts Marie et de la Tournelle, le 14 juillet 1989, pour dénoncer la politique culturelle du pouvoir. Le prix à payer fut la marginalisation de notre expérience et nous en tirons de la fierté..., c'était notre voie, la seule à suivre pour arriver là où nous sommes.
Nous avons fait de la revue un objet d'art à la portée de toutes les bourses sachant que le prix de vente n'était pas, loin s'en faut, le prix du travail... Des artistes intraitables nous ont suivis dans ce parcours de la révolte, quelques-uns parmi les plus créatifs du siècle, des plus disjonctés aussi, des sans nom, tous heureux d'apporter leur contribution aux idées de mai 68, de la Commune de Paris, de la Révolution Française, "la défaite sans avenir" (Rimbaud, "Les corbeaux"), ce fut notre cause. L'expérience prouve que les cris les plus ténus portent au loin l'écho de leur plainte. "No Pasaràn". Même en étant terrassés, notre cri les défiera encore. " Sous les pavés, la révolution"; ce ne sont pas les intellectuels ni les bourgeois qui vous le disent, ce sont les forçat de l'ombre, les assoiffés de liberté, portés par la clameur qui monte "rêve générale", "utopiste debout". Nous vibrons en voyant les peuples arabes sous le joug, se soulever pour réclamer pain et liberté. Nous dont l'histoire s'est nourrie de combats pour ces droits, nous qui voyons chaque jour depuis 2007, Sarkozy saper les acquis de la République qui font l'orgueil de l'humanité.

On ne peut pas arriver à la Révolution seulement par le désespoir, on peut le faire par la conviction absolue de ses droits. Assez de subir le mépris de ceux qui depuis des lustres disent parler en notre nom... nous représenter, en étant imbus de pouvoir et qui imposent au peuple des plans draconiens pour éponger des dettes publiques dues à leur mauvaise gestion.

Laissons le peuple réfléchir aux idées de la révolution de Mai, le temps est à nouveau venu d'envahir la rue, poussons la ferveur dans nos veines et soyons prêts aux combats d'avenir. Le travail n'a jamais créé le bonheur, trimer pour une bouchée de pain, c'est l'esclavage des temps modernes, des fils de fer acérés qui ligotent le peuple. La société de demain se met en place de nos jours, elle est basée sur l'économie du partage, la richesse produite est le bien de tous. L'État doit continuer à garantir l'égalité des chances, l'accès à l'éducation, à la santé, au logement et aux revenus. Il faut substituer à la société du profit individuel celle du partage. Cette économie de redistribution se met en place dans le monde, en France, elle est expérimentée dans les villes, dans les plus petits hameaux.

Cette pensée historique fait le lien entre les peuples, elle part du principe d'une production de richesses dont le profit est équitablement réparti et dont la raison est la survie de l'homme. Cette idée est à l'origine de la société humaine, elle fut détournée de son sens par l'économie de marché où l'intérêt de quelques-uns est substitué à celui de tous. Ceux dont les théories du profit ont échoué en créant surplus et inégalités veulent à présent détruire le bien commun en l'accusant de leur faillite. C'est la République et sa fonction sociale qui garantira la prospérité de tous. La révolution est fille de la misère, la guerre est engendrée par les puissants, dans le seul but d'avoir plus de pouvoir et de richesses.
Les conquêtes sociales créent le bonheur de l'humanité. Ce sont les faits.

Trente-trois artistes figurent dans ce dernier numéro de Plages, autant que le nombre d'années de la revue. En plus de vingt-trois pavés réalisés par les artistes eux-mêmes, nous rendons hommage à des artistes importants qui ont soutenu la revue : Bram Bogart, Corneille, Ernest Pignon Ernest ou avec des pavés posthumes à Beuys et à Vostell, à des artistes de Plages décédés - Bignolais, Lucien Bouvier, Christiane de Casteras. Nous convoquons Arthur Rimbaud et Egon Schiele, créateurs intraitables; sur leurs inspirations visionnaires et sur celles de mai 68, s'inscrit l'expérience de Plages. Nous saluons tout particulièrement la mémoire de Gérard Bignolais, l'un des piliers de Plages, auteur d'un autoportrait déchirant, réalisé sur son lit de mort. Nous le voyons sur la face d'un pavé arborant une pancarte du collectif d'artistes " utopiste debout" qui se signale dans les manifestations en distribuant des autocolants comme "rêve générale".

Nous remercions les centaines d'artistes qui ont collaboré bénévolement à la revue avec leur créations, ainsi que nos fidèles abonnés et collectionneurs et les responsables des documentations des grands musées comme MAM de New York, le Centre Pompidou, la Bibliothèque Nationale du Luxembourg, le Victoria and Albert Museum de Londres et la Galleria d'arte moderna Gallarate de Milan. Plages n'aurait pu survivre sans l'aide de nos imprimeurs, les frères Nory, qui nous ont donnés tout le temps pour payer les factures et à qui nous devons encore 11 000 €. La réussite de Plages est due aussi au marché de l'art et en particulier à Monsieur Jean-Pierre Jouet, fondateur de la FIAC qui m'accepta comme squatter vendant Plages avec un caddie dans les couloirs de la foire puis qui m'invita avec un stand officiel.

Pour clore nos parutions nous reproduisons la première couverture de Plages créée par l'architecte Max Berto et la même image renversée.
La parution de ce numéro fait l'objet d'une exposition chez Charley Chevallier à la galerie Weiller du 5 au 12 juillet 2011.

Roberto Gutierrez, 11 avril 2011