Le Monde

Actualité : Roberto Gutiérrez, Rimbaud en bandoulière, par Harry Bellet
Extrait : Fondateur de la revue "Plages", il a quitté l'Argentine en 1964 pour rejoindre Paris et son Ecole des beaux-arts.
Série : "Ils ont choisi la France" (3/6).

Date : 19/08/2009

Le Monde (lemonde.fr)

Carnet : Avec Roberto Gutiérrez, la revue Plages a perdu son fondateur, par Harry Bellet
Date : 03/01/2012

Fondateur de la revue d'artistes Plages, Roberto Gutierrez est mort mardi 20 décembre, à l'âge de 71 ans. Né le 9 avril 1939 en Argentine, il rejette le vœu de sa mère de le voir entrer à l'école navale et, à quinze ans, s'enfuit. A Buenos Aires, il travaille dans un théâtre. C'est là qu'il forge sa culture de base, et que grandit son intérêt pour la France.
Il voyage en Amérique latine. Au Brésil, il découvre les artisans des rues qui sculptent le bois de palmier pour les touristes, et apprend d'eux à tailler des figures avec un canif. Son ambition : étudier l'art à Paris : " Ceux qui voulaient faire de l'économie rêvaient des Etats-Unis. Mais pour la culture, c'était la France. La liberté, les droits de l'homme. Et l'Ecole des beaux-arts. ", confiait-il au Monde (20 août 2009). Muni pour seul viatique d'une lettre du directeur du Musée d'art moderne de Bahia, il décide de partir.
Il traverse l'Atlantique sur un cargo, débarque à Hambourg et gagne Paris le 21 janvier 1964. Il entre à l'école des Beaux-Arts et suit l'enseignement du sculpteur René Collamarini (1904-1983). C'est ce dernier qui lui offrira de quoi séjourner dans un sanatorium lorsqu'en 1965, affaibli par les privations, il contracte une tuberculose. Conscient de ce qu'il n'aurait pas pu se soigner s'il n'avait bénéficié de la sécurité sociale des étudiants, Roberto Gutierrez sera ensuite un des plus ardents défenseurs de son application aux artistes, ce qui n'adviendra qu'au mitan des années 1970.
Au sanatorium de Grenoble, il rencontre celle qui sera sa compagne, Madeleine, qui encourage sa veine militante. A son contact, l'ancien enfant de choeur qui servait la messe en latin en Argentine se radicalise. Naturalisé français en 1978, il crée en mai de la même année,[...], la revue Plages.
Ouvrage collectif, travail en commun, militantisme. Y collaborent au fil des ans des centaines d'artistes, avec quelques piliers comme Gérard Brignolais, Lucien Bouvier ou André Chabot, et parfois quelques stars comme Beuys, Bram Bogart, Corneille, Ernest Pignon Ernest ou Vostell. Pour la diffuser, Roberto Gutierrez décide d'y aller au culot, et plante son étal devant la Fiac. Son directeur d'alors, Jean-Pierre Jouet, s'en amuse et lui propose un stand à l'intérieur.
Plages participera ainsi aux plus grandes foires d'art contemporain du monde, celles de Bâle et de Miami notamment. Sans rien perdre de son engagementpolitique. Ainsi, lorsqu'à la fin de 1984, le gouvernement de Laurent Fabius restreint les possibilités de regroupement familial pour les étrangers, il publie en couverture une carte de France, barrée d'un de ces rubans de plastique qui servent à la police pour marquer qu'une rue est provisoirement interdite.
Son dernier éditorial, publié en mai 2011, montrait qu'il n'avait pas renoncé : " Ceux dont les théories du profit ont échoué en créant surplus et inégalités veulent à présent détruire le bien commun en l'accusant de leur faillite. C'est la République et sa fonction sociale qui garantira la prospérité de tous. La révolution est fille de la misère, la guerre est engendrée par les puissants, dans le seul but d'avoir plus depouvoir et de richesses. Les conquêtes sociales créent le bonheur de l'humanité. Ce sont les faits ".

Le Monde (extraits des articles des 19/08/2009 et 03/01/2012)